Point juridique n°3 : Mémoire et droit international

$title

« Il est essentiel de reconnaître les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire pour permettre aux victimes de retrouver leur dignité et à la société de reprendre confiance, afin d’avancer vers une culture de la paix »

Fabian Salvioli, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition

POURQUOI INSTITUTIONNALISER LE CONCEPT DE MEMOIRE ?

Quand l’amnistie engendre l’amnésie

Dans la période qui succède à un conflit, l’Etat peut chercher à réconcilier les populations, dans une perspective d’apaisement. Toutefois, le prétexte de l’unité nationale est régulièrement mobilisé pour étouffer certaines mémoires « dérangeantes », qui pourraient mettre en cause les autorités publiques. C’est par exemple le cas de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, adoptée par l’Algérie en 2005.

L’instrumentalisation de la mémoire

Dans un contexte de tension, la mémoire peut aussi être instrumentalisée à des fins politiques. En effet, il y a une tendance croissante à manipuler les informations et la mémoire dans le but de stigmatiser les victimes et/ou certains groupes. Ce phénomène s’est accentué ces dernières années avec les réseaux sociaux.

Institutionnaliser la mémoire pour garantir la justice

Pour toutes ces raisons, il est primordial d’honorer et institutionnaliser le devoir et le concept de mémoire. Mémoire et droit s’influencent mutuellement : le travail de la société civile sur les mémoires peut servir à produire des lois de reconnaissance des crimes et traduire en justice les auteurs de violations, tout comme l’instauration de cadres juridiques mémoriels peut débloquer des archives et permettre l’accès à des réparations.

LE DEVOIR DE MEMOIRE

Promotion de la justice pour les victimes

Le devoir de mémoire sert avant tout à garantir l’accès à la justice et la vérité pour les victimes. A travers la mise en place de lois, d’excuses officielles, de commémorations, de mécanismes de réparation, l’Etat reconnaît sa responsabilité et s’engage à respecter ses obligations internationales envers sa population.

Non-répétition des crimes passés

Le devoir de mémoire permet également de préserver l’Histoire et la mémoire collective. De cette manière, cela garantit aux générations futures une éducation précise sur les événements passés, ce qui peut contribuer à empêcher la récurrence des atrocités commises (en sus des mécanismes juridiques).

Renforcement de l’Etat de droit

La reconnaissance des crimes favorise l’État de droit en soulignant que personne, même les autorités, n’est au-dessus des lois et que les violations ne demeurent pas impunies. De plus, en enseignant le respect et la tolérance, la mémoire produit un état de vigilance collective sur les droits humains.

Pour une définition juridique internationale de la mémoire

Il n’existe pas de définition juridique internationale de la mémoire. Cette lacune dans la définition est peut poser problème, étant donné que la mémoire est essentielle dans le processus de justice.

Pour autant, ce concept n’est pas totalement absent du droit international. En effet, divers instruments du DI des droits humains et du droit humanitaire y font référence à travers les notions de vérité, justice et réparations.

La responsabilité des Etats pour la protection et la promotion des droits humains inclut effectivement le droit à la vérité (sur les violations commises). Par ailleurs, le droit à la mémoire est de plus en plus reconnu par les acteurs du droit international, qui estiment qu’une définition juridique est nécessaire (notamment en cas de régime autoritaire, conflits armés et violations massives des DH).

Certains Etats ont établi des “lois mémorielles” au niveau national reconnaissant un point de vue officiel sur des évènements historiques et condamnant le négationnisme et le révisionnisme. C’est notamment le cas des lois sur la reconnaissance de la Shoah et du génocide arménien.

MECANISME DU DROIT INTERNATIONAL EN LA MATIERE

A l’ONU

Rapporteur.se Spécial.e sur la promotion de la vérité, de la justice et de la réparation : il/elle s’intéresse aux mesures adoptées par les autorités concernées pour garantir la vérité, la justice, la réparation, le travail de mémoire et les garanties de non-répétition dans les situations de transition après un conflit ou un régime autoritaire.

Mécanismes internationaux de coopération judiciaire

Commissions Vérité : ont pour but de faire la lumière sur des évènements passés, conflits, répression et violations des droits humains, et ont pour mandat d’examiner les causes, conséquences et nature des violations des droits humains.

Procès à l‘international et tribunaux internationaux :

  • Cour Pénale Internationale : juge les crimes les plus graves du droit international.
  • Tribunaux ad hoc : tribunaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie…
  • Procès sur le fondement de la compétence universelle : exemples des procès à venir en Suisse de Khaled Nezzar (Algérie) et Yuri Harauski (Bélarus).

a

L’existence même de ces mécanismes, procès, ainsi que les jugements rendus permettent d’une part de reconnaître la mémoire des victimes, et d’engager également un processus de mémorialisation des crimes.

LE TRAVAIL DE MEMOIRE AU SECOURS DU DROIT INTERNATIONAL

Le droit ne peut être détaché de l’histoire, c’est en elle qu’il trouve son ancrage. L’internationalisation des droits humains s’est en partie faite à travers la mémorialisation d’évènements historiques, tels que la Shoah.

Le droit international ne suffit pas à lui-seul à produire un travail de mémoire

Par exemple, sans nier l’importance des procès de Nuremberg, les efforts de la société civile (les miliers de livres, de documentations, documentaires, visites, etc) ont été essentiels à la reconnaissance des crimes perprétrés et à la transformation démocratique, des décennies plus tard.

Le travail de mémoire permet de contourner des lois injustes ou lacunaires

En Algérie, la loi d’amnistie de 2005 nie aux famille de disparu.e.s leur droit à connaître la vérité et à obtenir justice. Son article 45 empêche les familles de déposer une plainte et mener des procédure judiciaires. Elle oblige les victimes à déclarer, sans enquêtes, leurs proches disparus décédés afin de toucher une indemnisation.

Dans ce contexte, c’est justement le travail de la société civile qui permet de faire vivre la mémoire : cherche dans les archives (malgré les obstacles), documente les cas de violations, réalise des mémoriaux… La société civile se pose en alternative de la version des faits promue par l’Etat.

Au CFDA, et pour de nombreux acteurs agissant dans le cadre du droit international, la mémorialisation est le cinquième pilier de la justice transitionnelle. Selon l’ONU, la justice transitionnelle est « l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation »).


POUR EN SAVOIR PLUS…