La guerre civile en Algérie

$title

La guerre civile en Algérie a opposé dix années durant le régime algérien et l’armée nationale populaire à divers groupes armés islamistes dont le groupe islamiste armé (GIA) et l’Armée Islamique du Salut (AIS – bras armé du Front Islamique du Salut). Rapidement devenue un enjeu dans la lutte pour le pouvoir, sommée de choisir l’un des deux camps, la population a été soupçonnée par les parties au conflit de soutenir le camp adverse. Des années durant, elle a subi quotidiennement le terrorisme des groupes armés islamistes d’une part et la répression étatique de l’autre. Des dizaines, voire des centaines de milliers de civils, selon  les  sources,  ont  perdu  la  vie  dans  les  attentats  ciblés,  les  attentats  à  la bombe, les assassinats, les massacres, les exécutions extrajudiciaires ou encore sous  la  torture.  Parmi  les  victimes  nous  dénombrons  également  plusieurs  milliers de femmes violées, de détenus au secret et de torturés ayant survécu. Enfin, des dizaines de milliers d’individus ont disparu après avoir été enlevés par des groupes armés islamistes ou après avoir été arrêtés par des agents des forces de sécurité de l’État.

Origines

Nous pouvons faire remonter au début des années 1980 l’origine de la guerre civile en Algérie. Croissance démographique galopante, taux de chômage élevé, pénurie de logements et d’eau potable, déficit démocratique et absence de libertés publiques, provoquent un sentiment de malaise profond dans la société. Tout au long des années 1980, des mouvements de protestations populaires, ouvriers et estudiantins fleurissent dans différentes villes du pays – Tizi Ouzou, Béjaia (1980),  Saïda,  Oran,  Mahdia  (1982),  Laghouat  (1985),  Constantine,  Setif  (1986), Collo (1988) – et sont fermement réprimés.

Entre le 4 et le 10 octobre 1988, en écho aux grèves ouvrières et aux mouvements de contestation estudiantins de la région d’Alger, la jeunesse de moins de 20 ans manifeste son ras le bol face au malaise économique et social généralisé grandissant depuis le choc pétrolier de 1986. Dès le 4 octobre au soir, des centaines d’arrestations ont lieu. Le lendemain des édifices de l’État et les symboles du régime sont saccagés aux cris de « Chadli assassin » ou « FLN au musée ». Le 6 octobre, l’état de siège est décrété. Le jour-même, l’armée est déployée dans Alger. Les affrontements entre émeutiers et forces de l’ordre se poursuivent cinq jours durant dans plusieurs grandes villes du pays.

Des centaines de victimes de la répression d’octobre 1988 sont dénombrés : 169 morts selon le bilan officiel établi par la gendarmerie nationale le 12 octobre 45 , au moins 500, la plupart par balle, selon l’évaluation des services d’urgence des hôpitaux de la capitale. Des centaines d’individus sont par ailleurs arrêtés arbitrairement et torturés. La société civile algérienne a alors dénoncé les nombreuses violations des droits de l’Homme survenues au cours des événements d’octobre 1988.

Les événements d’octobre 88 débouchent sur la décision du Président Chadli de modifier la Constitution par voie référendaire pour autoriser, après plus de 25 ans de parti unique, le multipartisme et instaurer les libertés de réunion, de manifestation et d’association. Le 3 novembre 1988, le référendum pour la modification de la Constitution est approuvé (92,7% avec un taux de participation de 83,08%). A la fin de l’année 1989, une soixantaine de nouveaux partis politiques ont été créés.

En juin 1990, les élections municipales, premier scrutin pluraliste de l’Algérie indépendante, sont remportées par le Front Islamique du Salut (FIS), parti islamiste et populiste ayant pour objectif affiché d’abolir la constitution et d’instaurer un État islamique. Une année après les élections municipales, alors que les élections législatives annoncées pour le 27 juin 1991 se préparent, les leaders du FIS, exigeant la modification de la loi électorale et l’organisation d’élections présidentielles anticipées, lancent un appel à la grève générale et illimitée. La grève débute le 25 mai 1991.

Le 5 juin 1991, dans un contexte de grande tension politique et sociale, le président Chadli annonce la démission du gouvernement Hamrouche ainsi que le report des élections législatives. Ce même jour, l’état de siège, qui transfert à l’autorité militaire les pouvoirs dévolus à l’autorité civile en matière d’ordre public et de police, est de nouveau décrété pour une durée de quatre mois sur tout le territoire national.

L’état de siège est levé le 29 septembre 1991 au bout de trois mois et 3 semaines. Le FIS remporte le premier tour des élections législatives qui se sont finalement tenues le 26 décembre 1991. Le président Chadli démissionne le 11 janvier 1992, poussé vers la sortie par le haut commandement militaire. Ce même haut commandement militaire fait en sorte de faire « constater » l’impossibilité de poursuivre le processus électoral. Le deuxième tour des élections législatives n’aura jamais lieu.

Le  pouvoir  politique  est  officiellement  vacant,  le  président  Chadli  ayant dissout  l’assemblée  nationale  avant  de  démissionner.  Le  commandement militaire institue une instance collégiale, le Haut Comité d’Etat (HCE), chargé d’exercer « l’ensemble des pouvoirs confiés par la Constitution en vigueur au Président de la République»  et nomme à sa tête le Président Mohamed Boudiaf.

Finalement, jusqu’en janvier 1994, le HCE cumulera les pouvoirs présidentiels et les pouvoirs législatifs. L’état d’urgence est proclamé en février 1992 pour une durée de 12 mois sur toute l’étendue du territoire national. Il sera reconduit en 1993 sans que cette décision n’ait fait l’objet d’un débat et ne soit validée par le Parlement siégeant en chambres réunies, en violation de la Constitution de 1989. Il ne sera levé qu’en février 2011.

Le conflit

Les successives législations d’exception adoptées en 1991 et 1992 (l’état de siège puis l’état d’urgence) confèrent aux autorités militaires des pouvoirs exorbitants, en dehors de tout contrôle. Elles prévoient, entre autres, la possibilité, pour les autorités militaires puis civiles, de prononcer le placement en centre de sûreté, sans inculpation ni jugement, de « toute personne majeure dont le comportement est susceptible de compromettre dangereusement l’ordre public et la sécurité publique ainsi que le bon fonctionnement des services publics » . Entre 10 000 et 20 000 personnes seront envoyées dans les centres de sûreté au sud du pays entre 1991 et 1995.

En mars 1992, le FIS, dissout par décision judiciaire, devient un parti illégal. La répression pousse un certain nombre de cadres et de militants du FIS à entrer dans la clandestinité. Bien que le FIS n’appelle pas à la lutte armée avant la mi 1993, des groupes armés (MIA, GIA) commencent à se constituer et commettent des attentats et des assassinats notamment dans les quartiers populaires. Petit à petit l’insécurité gagne et la violence se généralise. On entre dans la guerre civile.

En juin 1992, le président du HCE Mohamed Boudiaf est assassiné à Annaba. Le 26 août 1992, une bombe explose à l’aéroport d’Alger. Il s’agit d’un attentat qui frappe  pour la première fois de manière aveugle la population. Le  haut  commandement  militaire  est  fermement  décidé  à  «  éradiquer  »  l’islamisme. Ali Kafi, successeur de Mohamed Boudiaf à la tête du HCE, promulgue en  septembre 1992 un décret législatif relatif à la lutte contre le terrorisme et la subversion qui définit d’une manière extensive et vague les infractions susceptibles d’être  qualifiées d’actes terroristes ou subversifs. Parallèlement, l’appareil sécuritaire de l’État se réorganise. A la demande du général Nezzar est créé, sous la direction du général Mohamed Lamari, le Centre de conduite et de coordination des actions de lutte anti subversive (CCLAS) réunissant les unités spéciales de l’armée chargées de mener la lutte anti-terroriste.

A partir de 1993, une lutte acharnée s’engage entre les membres des groupes armés islamistes et les membres des forces de sécurité de l’État. La violence n’épargne aucune tranche de la société. Selon les principes de la guerre contre insurrectionnelle la population civile, déjà victime du terrorisme, est considérée par les forces de sécurité de l’État comme la base arrière des groupes islamistes armés. Elle sera soupçonnée de les soutenir. Les agents des forces de sécurité de l’État engagés dans la lutte contre le terrorisme et la subversion mèneront, particulièrement dans les quartiers populaires et les zones reculées et/ou pauvres touchées par le terrorisme, une répression systématique dans le but d’éradiquer l’islamisme armé comme non armé.

Les disparitions forcées

$title

Au nom de la lutte contre le terrorisme et la subversion, les services de sécurité de l’État ont fait disparaître des milliers de personnes en Algérie entre 1990 et 2000. Ponctuelles jusqu’en 1992, les disparitions forcées sont devenues de plus en plus fréquentes à partir de 1993. En 1994, elles se sont généralisées. Entre mars 1994  et  septembre  1995,  plus  de  cent  individus  arrêtés  par  les  agents  de  l’État disparaissent chaque mois. Après les élections présidentielles organisées en novembre 1995, les disparitions forcées ont commencé à diminuer en 1996. Elles sont devenues de moins en moins fréquentes à partir de 1997.

La cible des disparitions forcées a été la population civile prise en étau entre les groupes  armés islamistes et les services de sécurité de l’État.  Les  disparus  n’étaient pas, telle l’idée véhiculée par le discours officiel à l’attention de l’opinion publique et des instances internationales de protection des droits de l’Homme, des terroristes armés. Ils ont été arrêtés à leur domicile, dans l’espace public, sur leurs lieux de travail, au hasard de leurs occupations quotidiennes. Ils vivaient avec leur famille et exerçaient, pour la grande majorité, une profession. En réalité, les services de sécurité algériens ont mené, parallèlement à la lutte contre le terrorisme armé, une véritable guerre contre subversive  large et massive à l’encontre de la population civile, pour éradiquer toute forme d’opposition y compris pacifiste. Si l’arbitraire régnait, la répression s’est articulée autour de critères stigmatisants – l’âge, le quartier de résidence, les opinions politiques, la profession, les liens familiaux et amicaux – sur lesquels les autorités s’appuyaient pour estimer que tel ou tel groupe de population était favorable aux islamistes. Des catégories de la population, susceptibles aux yeux des services de sécurité d’entretenir des liens avec la mouvance islamiste et/ou de délivrer des informations sur les activités des groupes armés, ont ainsi été particulièrement visées par les disparitions forcées.

Les autorités algériennes n’ont jamais pas mené d’enquêtes indépendantes et effectives sur le sort des disparus ou les auteurs présumés des disparitions forcées.

Consultez le rapport « Les disparitions forcées en Algérie: un crime contre l’humanité »